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Plaques XVIIIe siècle

La lanterne magique triomphe au XVIIIe siècle. Les colporteurs, lanterne sur le dos, promènent de villes en villages les merveilles de l'Art trompeur, troublant la vue et les sens du public, toute classes confondues. Les savants, opticiens, nobles curieux et membres du clergé, désireux de perfectionner l'invention, sont inquiets de voir l'appareil devenir un instrument de spectacle, de moquerie, de contestation. Les peintres, les artisans et fabricants conçoivent des systèmes d'animation complexes afin de faire bouger les images. Les plaques de verre mécanisées, les peintures et les couleurs de plus en plus soignées donnent à la lanterne magique un pouvoir énorme, la transformant même allégoriquement en une sorte de machine libertaire, révolutionnaire, insolente, explosive, reflet des changements profonds qui se préparent.

Les plaques à cette époque sont réalisées dans de petits ateliers spécialisés dont on ne sait rien, ou par quelques artistes dont les noms nous sont très rarement parvenus (Crespi en Italie par exemple). Pour obtenir des vues de qualité (on utilise alors le terme révélateur de « tableaux »), plusieurs heures – voire plusieurs jours – de travail sont nécessaires. L'art de la peinture sur verre, au début du XVIIIe siècle, n'est pas encore à la portée du premier venu.

Il faut que les couleurs soient évidemment transparentes, qu'elles restent stables, que le vernis résiste à la chaleur et soit invisible. Il faut fabriquer les couleurs et le vernis, le polissage des verres, la taille des cadres en bois qui protègent leurs contours. Il faut enfin une grande dextérité pour peindre sur verre, et sur une aussi petite surface. La projection grossit chaque défaut avec cruauté, les petites bavures deviennent sur l'écran des taches monstrueuses, un dessin maladroit apparaît dans toute sa médiocrité amplifiée. La transparence des couleurs pose aussi des problèmes : une peinture mal broyée, trop épaisse, trop pigmentée, transforme les images en ombres noires et confuses. Sur certaines plaques très anciennes, la pigmentation est si intense qu'elle empêche la transparence.

Il y a beaucoup de couleurs ocre, et on voit souvent à l'œil nu les pigments mal broyés, ce qui donne un effet granuleux et mat. La matière picturale est composée d'un liant (par exemple une résine copal), de pigments ou de colorants, parfois d'un vernis dont on ne connaît pas toujours l'origine : il faudrait une analyse scientifique poussée pour l'établir, mais les méthodes varient selon les artistes. Le verre, dont l'épaisseur varie de 1 à 2 mm, est parfois mal taillé, ondulé, avec des bulles. Le cadre en bois est parfois taillé en pointe.

Il est aujourd'hui extrêmement émouvant d'examiner de près ces très fragiles témoins de la haute époque des projections lumineuses, non seulement à cause de leur rareté, mais aussi en raison de leur extrême qualité, du témoignage qu'ils apportent sur leur époque, et de l'attraction irrésistible que ces petites figures vivement dessinées, naïves ou sophistiquées, exercent encore sur notre imagination. Quand on les projette, ce qui arrive rarement, hélas, c'est encore une autre source d'émerveillement : dans l'obscurité, on se croirait transporté au siècle de L'Encyclopédie, assis à côté de Voltaire et de Nollet, et l'on se prend presque à prendre « le ton savoyard » pour les commenter.