La « lanterne magique » ou « lanterne de peur », appareil d'optique, apparaît en 1659 à La Haye, dans le laboratoire de l'astronome hollandais Christiaan Huygens. La lanterne magique permet la projection amplifiée, sur écran, d'images peintes sur verre. Ces images peuvent être fixes ou animées, grâce à des superpositions de verres mobiles. Huygens est l'auteur de la première plaque animée connue, représentant un squelette exécutant divers mouvements, d'après La Danse de mort de Hans Holbein.
Tout, dans la lanterne, de même que les effets qu'elle produit, est « magique » : fumante et percée de lumière, en fer, en bois, surmontée d'une cheminée, pourvue d'un jeu de lentilles, d'un réflecteur parabolique et d'une lampe à pétrole ou à huile, elle sert d'abord à projeter tout un cortège d'images diaboliques, licencieuses, religieuses, politiques ou scientifiques, peintes à la main sur des plaques de verre. Elle permet, pour la première fois, d'agrandir des images transparentes qui n'existaient auparavant – et encore vues de loin – que dans les églises, grâce aux vitraux. Elle projette de petits tableaux peints, souvent animés, aux couleurs translucides, ce qui change radicalement de la peinture sur toile ou sur bois. La laterna magica, fille de l'optique et de la magie, transfère sur l'écran les créations de l'esprit et ouvre la voie à tous les fantasmes, à la féerie, aux futurs trucages cinématographiques de Georges Méliès.
Perfectionnée au fil des ans, la technique des projections lumineuses (optique, éclairage, peinture sur verre, systèmes d'animation) atteint un summum de virtuosité à la fin du XVIIIe siècle avec la fantasmagorie ; puis au XIXe siècle, avec la commercialisation des plaques et appareils par l'opticien Philip Carpenter et les spectacles de la Royal Polytechnic Institution. La lanterne a joué enfin le rôle de messagère d'informations, projetant les derniers événements politiques ou sociaux. Napoléon était à Sainte-Hélène ? Des projections nostalgiques le faisaient revenir en France. Le choléra se répandait en France ? Des plaques de verre étaient peintes pour le tourner en dérision, ou pour en montrer l'horreur. La France colonisait l'Algérie ? Des vues étaient immédiatement éditées, vantant le courage des soldats et « la férocité des Arabes ». Une expédition s'approchait du pôle Nord ? Des plaques racontaient toutes les étapes du voyage…
La grande vogue des projections lumineuses a permis au cinématographe en 1895 de s'implanter très rapidement non seulement dans les salles, mais aussi dans les foyers. Le principe de la lanterne magique s'est perpétué avec le projecteur Pathé-Baby, par exemple, qui a connu un succès foudroyant dès son lancement en 1922. Dans un sens, le projecteur de diapositive est également un héritier de la lanterne, qualité artistique en moins. Ce qui est certain, c'est que le « cinéma chez soi » a fini par reléguer la vieille lanterne magique au grenier. On a sans doute perdu du même coup beaucoup de magie, de poésie, ce qui explique sans doute l'émotion qui saisit tout spectateur lorsqu'il a la chance de retrouver un appareil polychrome ou d'assister à une projection de lanterne, un spectacle rare, délicat et d'un autre temps.